Résumé
I / LE FONDEMENT DE L'EXCLUSION DE LA CLAUSE LIMITATIVE DE RESPONSABILITE
A / L'abandon du fondement classique
1 - Le principe : la validité des clauses limitatives de responsabilité
2 - L'exception : le dol ou la faute lourde
B / L'adoption d'un fondement original
1 - La contradiction avec une obligation essentielle du contrat
2 - L'absence de cause
II / LA PORTEE DE L'EXCLUSION DE LA CLAUSE LIMITATIVE DE RESPONSABILITE
A / La portée sur le contrat
1 - La clause est réputée non écrite
2 - Le contenu du contrat est préservé
B / La portée sur les contrats
1 - N'y a-t-il pas transposition de la police des clauses abusives ?
2 - Ne s'enfonce-t-on pas vers l'objectivation du rapport contractuel ?
Que reste-t-il du principe de liberté contractuelle ? A la recherche du juste, le juge bouscule, chaque jour davantage, les rapports contractuels. Si, hier, l'on pouvait encore déclamer "tout ce qui est contractuel est juste", il semble, qu'aujourd'hui, au contraire, tout ce qui est contractuel devient suspect. Les grands concepts du droit des obligations, comme la cause du contrat, ne sont plus au service de la volonté des parties mais au service du juge afin de contrôler l'équilibre économique du contrat. L'arrêt Chronopost du 22 octobre 1996 exprime parfaitement cette nouvelle philosophie. Le principe de la liberté contractuelle autorise les parties contractantes à se soustraire aux règles légales sanctionnant l'inexécution du contrat en prévoyant des aménagements conventionnels. En principe, l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat engage la responsabilité contractuelle du débiteur défaillant. Mais, si ce débiteur est prévoyant, il aura pris soin d'insérer dans le contrat une clause limitative de responsabilité fixant le maximum possible des dommages-intérêts. Telle est bien la clause spécifiant qu'en cas de retard d'un envoi, le transporteur ne sera tenu que de rembourser le prix du transport, soumise à l'appréciation de la chambre commerciale de la Cour de cassation dans l'arrêt du 22 octobre 1996 qu'il nous ait donné de commenter. En l'espèce, la société Chronopost (venant aux droits de la société SFMI), spécialiste du transport rapide, s'engageait envers ses clients à livrer leur envoi au plus tard le lendemain à midi. Toutefois, le contrat comportait une clause limitative de responsabilité limitant l'indemnisation du retard au prix du transport. La société Banchereau confia, à deux reprises, à la société Chronopost, un pli contenant une soumission à une adjudication. Ces plis ne furent pas livrés le lendemain de leur envoi avant midi faisant ainsi perdre la chance d'obtenir les marchés à la société Banchereau. La société B, demanderesse, a alors assigné la société Chronopost, défenderesse, en réparation du préjudice subi du fait du retard de l'envoi. Le tribunal de commerce, refusant d'appliquer la clause limitative de responsabilité invoquée par la société Chronopost, a fait droit à la demande. Mais, sur appel interjeté par la société Chronopost, la Cour d'appel de Rennes, le 30 juin 1993, rendit un arrêt infirmatif contre lequel la société B forma un pourvoi en cassation. Le 22 octobre 1996, la chambre commerciale de la Cour de cassation cassa l'arrêt et renvoya l'affaire devant la Cour d'appel de Caen. Dans cette affaire, la société Banchereau réclame la réparation du préjudice subi du fait du retard de l'envoi en estimant que la clause du contrat limitant l'indemnisation du retard au prix du transport n'est pas valable. Selon elle, la clause limitative de responsabilité ne peut exonérer le cocontractant de son obligation essentielle sans faire disparaître la cause, c'est pourquoi elle doit être réputée non écrite. La société Chronopost, à l'inverse, conteste la réparation du préjudice subi du fait du retard de l'envoi en estimant que la clause du contrat limitant l'indemnisation du retard au prix du transport est valable tant que la preuve d'une faute lourde n'est pas rapportée. Selon elle, la clause limitative de responsabilité peut limiter la responsabilité du cocontractant dans l'inexécution de son obligation essentielle sans que la cause ne disparaisse, c'est pourquoi elle ne doit pas être réputée non écrite. Problème : La clause limitative de responsabilité exonérant le contractant de son obligation essentielle est-elle valable ? Solution : Sous le visa de l'art. 1131 du Code civil, la Cour de cassation énonce : "Attendu qu'en statuant ainsi...la cour d'appel a violé le texte susvisé". La chambre commerciale de la Cour de cassation constate que la clause limitative de responsabilité contredit une obligation essentielle du contrat et que, par conséquent, elle prive l'obligation du débiteur de cause, elle doit alors être réputée non écrite. Cette solution totalement hétérodoxe, tant sur le fondement de l'exclusion de la clause limitative de responsabilité que sur sa sanction, a conduit la doctrine à s'interroger sur la portée qu'il convenait de reconnaître à l'arrêt du 22 octobre 1996. S'il ne fait, aujourd'hui, plus de doute que cet arrêt est un arrêt de principe, compte tenu de l'ampleur des réactions qu'il a suscité, nous nous engagerons à le démontrer à travers l'étude du fondement (I) et de la portée de l'exclusion de la clause limitative de responsabilité (II).