Manon Lescaut, Abbé Prévost, roman picaresque, libertinage, amour, sexualité, apprentissage, tragédie, comédie, prison, mauvaise foi, fourberie, trahison, lucidité, morale, lâcheté, infidélité, providence, Lesage, Marivaux, Quevedo
On a tendance à gommer le nom de Des Grieux, pourtant présent dans le titre (Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut), au bénéfice de la seule Manon. On pourrait cependant appeler cette « histoire » Des Grieux, comme Marivaux a appelé son roman Le Paysan parvenu (1735) ou comme Lesage a appelé le sien Gil Blas de Santillane (1735). Le XVIIIe siècle est celui du roman picaresque en France. À l'instar de ces héros, Des Grieux se caractérise-t-il donc par une absence de lucidité quant aux événements qu'il connaît ?
[...] Loin d'être un picaro, Des Grieux a appris à faire jouer ses relations. En revanche, il réserve à Manon le sort d'une picara, puisque, à la grande surprise du lecteur, il acquiesce à ce projet : « Je n'osai le prier de solliciter pour Manon [?] ». Des Grieux a appris à être lâche. B - Un noble qui cause la chute d'une simple libertine Manon était promise au couvent, or c'est Des Grieux qui l'en détourne et la fait retomber dans ses travers : « C'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir ». [...]
[...] Dans les deux cas, le message moral n'est que de « la poudre aux yeux8 » conventionnelle. Cette précaution, inutile, n'empêchera pas la condamnation de Manon Lescaut en 1733. Le lecteur connaît lui aussi le plaisir, celui de voir deux jeunes gens se jouer des institutions et des personnes installées. La « passion » est dénoncée pour la forme. La vignette qui, en 1753, est placée à la fin de l'Avis est en trompe-l'?il, en hommage à Fénelon9. On y voit un Des Grieux-Télémaque guidé par un Mentor-Tiberge qui l'éloigne d'une Charybde-Manon. [...]
[...] C - Un langage qui sonne faux Des Grieux se présente comme « le plus infortuné de tous les hommes ». De fait, il n'a pas le langage d'un picaro, mais d'un héros de tragédie qui n'est pas responsable de ses actes et qui ne peut donc rien apprendre d'eux. Il ne cesse de rejeter la faute sur autrui. Ainsi, quand il tue le domestique à qui le père supérieur a demandé du secours au moment où Des Grieux s'évade :« Voilà de quoi vous êtes cause, mon père, dis-je assez fièrement à mon guide. » Avec mauvaise foi, Des Grieux n'assume pas sa responsabilité. [...]
[...] À l'instar de ces héros, Des Grieux se caractérise-t-il donc par une absence de lucidité quant aux événements qu'il connaît ? Mais, s'il a en partage avec le personnage du voyou rusé quelques traits, ces derniers suffisent-ils à faire de lui un picaro ? I - Des Grieux ou l'impossible lucidité A - La répétition des hauts et des bas Des Grieux n'apprennent rien de l'expérience. Conformément à la tradition du roman picaresque, il retombe à chaque fois dans un malheur plus grand. [...]
[...] Certes, le roman est présenté comme un « traité de morale » en action. C'est l'amour charnel avec Manon, la vie de « plaisir » qu'il regrette et non son déclassement social, du reste temporaire Des Grieux ne peut oublier une initiation sexuelle extraordinaire : Manon est « expérimentée ». Aussi faut-il considérer la condamnation vigoureusement exprimée dans l'Avis de l'auteur comme un artifice : « on y trouvera peu d'événements qui ne puissent servir à l'instruction des m?urs ». Laclos n'agira pas autrement pour justifier Les Liaisons dangereuses (1782). [...]
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