Gargantua, Rabelais, savoir, plaisir, humour, connaissance, sagesse, épicurisme
Le nom de Rabelais est lié à la nourriture et à la boisson, l'adjectif « gargantuesque » illustre ce lieu commun. Il serait vain d'en prendre le contrepied, mais tout aussi vain d'en rester là. Les plaisirs de bouche semblent liés à deux autres composantes de la matière rabelaisienne, le rire et le savoir. Dans quelle mesure ? Le savoir fait-il les frais du rire quand on mange et quand on boit ? En est-il renforcé ?
[...] Sur ce point, une fois encore, Rabelais rejoint Érasme qui dans le Banquet profane (1518), présente Bacchus, comme le dieu inspirateur : « les Anciens, qui considéraient Bacchus comme l'inventeur du vin l'ont institué dieu des poètes Par sa nature, Bacchus est chaud comme le feu ». À rebours, le vin a un effet désastreux sur Janotus de Bragmardo, représentant de la scolastique, sclérosée. Contrairement à ce qu'il affirme, de bon vin il fait mauvais latin : « [?] nos faciemus bonum cherubin. Ego occidi unum porcum, et ego habet bon vino. [nous ferons bonne chère ?ubin. [...]
[...] Cet effet d'encadrement du début à la fin de la geste pantagruéline est également présent du début à la fin du Gargantua. À l'invitation à boire du premier chapitre, qui contient une inscription énigmatique (déchiffrée donc par le narrateur) fait écho l'invitation à manger du dernier, autre énigme (déchiffrée ici par Frère Jean) : « Après le jeu, on se rafraîchit devant un clair feu et change-t-on de chemise, et volontiers banquette-t-on, mais plus joyeusement ceux qui ont gagné. Et bonne {grand} chère » (Chap. 58). [...]
[...] Enfin, si une certaine modération dans les plaisirs de bouche apparaît, on constatera qu'elle reste exceptionnelle et que le narrateur, lui-même grand buveur et bon mangeur joue avec le savoir contenu dans son ?uvre. Il sait rendre la vérité énigmatique. I - Banquet et joyeuse convivialité. II - Nourriture et vin révélateurs comiques du vrai savoir. III - Les facéties savantes du narrateur-buveur. I - BANQUET ET JOYEUSE CONVIVIALITÉ A - RIRE, MANGER ET BOIRE ENSEMBLE Le roman commence vraiment avec un banquet campagnard, à la Saulaie, près de la Devinière, au cours duquel naît Gargantua. [...]
[...] Les doublets « fin », « règle » d'une part, « limites », « bornes » d'autre part signifient que Gargantua ne respecte aucune limite avant la venue de Ponocratès. Il lui faut un nouvel enseignement pour apprendre « meilleure voie » (chap. la modération. C - VERS LA FRUGALITÉ ET LE GAI SAVOIR Avec son nouveau précepteur, qui l'accompagne désormais dans ses repas on retrouve le régime équilibré préconisée par Hippocrate. Ainsi il n'est plus question de boire dès le lever, comme le dira le géant lui-même à Frère Jean : « Boire si tôt après le dormir ? [...]
[...] Le nombre de plats est impressionnant, ainsi que leur variété qui est exposée comme dans une page d'histoire naturelle : « Ce dit, on apprêta le souper, et de surcroît furent rôtis : 16 b?ufs génisses veaux chrevraux de lait {moissonniers} moutons gorets de lait avec une belle sauce au moût de raisin {à beau moût} {onze vingt} perdrix bécasses chapons de Loudun {Laudunoy} et Cornouaille poulets et autant de pigeons, 600gelinottes levraux outardes, et 1700 chaponneaux {hutaudeaux}, on ne put se procurer aussi rapidement de la venaison{de venaison l'on ne peut tant soudain recouvrir}, à part {fors}11 sangliers qu'envoya l'abbé de Turpenay8, et 18 bêtes fauves que donna le seigneur de Gradmont9 : avec {ensemble} 140 {sept vingt} faisans qu'envoya le seigneur des Essars10, et quelques douzaines de ramiers, d'oiseaux de rivière, de sarcelles {cercelles}, butors {buours}, courlis {courtes}, pluviers, francolins {fancolys}, oies sauvages {cravans}, bécasses {tyransons}, vanneaux11{vanereaux}, canards {tadournes}, spatules {pochecullieres}, hérons tachetés {pouacres}, héronneaux{hegronneaux}, poules d'eau {foulques}, aigrettes, cigognes, cannes petieres12, orangés flamants13 (qui sont ph?nicopteres14), terrigoles15, dindes {poules d'Inde}, force couscous {coscossons16}, et renfort de potages. » Les banquets royaux qui célèbrent la victoire demandent le superlatif. Ainsi, au chapitre 51, après le discours que Gargantua a adressé aux vaincus, Grandgousier fête encore les compagnons victorieux et quelques « capitaines des bandes » : « Adonc leur fit un festin, le plus magnifique, le plus abondant et le plus délicieux qui fut vu depuis le temps du roi Assuere17. » Le rythme ternaire met en valeur les adjectifs mélioratifs. Si les plats ne sont pas énumérés, le dernier de ces adjectifs (« délicieux ») indique le raffinement. [...]
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