Franz Kafta, Albert Camus, Emmanuel Kant, Mythe de Sisyphe, L'Étranger, XXe siècle, existentialisme, philosophie de l'absurde, littérature, pessimisme, politique, démocratie, mécanismes de domination impersonnels, bureaucratie, absurdité ontologique, métamorphose, autobiographie, capacité à imiter, censure
L'oeuvre de Franz Kafka parle à notre époque d'une manière inhabituelle. Certains écrivains du XXe siècle, comme Albert Camus, ont noté la capacité de l'oeuvre de Kafka à rendre compte des temps nouveaux et ont vu en lui l'un des inspirateurs de l'existentialisme. Cependant, comme la philosophie existentielle a été quelque peu éclipsée par le structuralisme et d'autres mouvements liés à mai 68 en France, la lecture existentialiste de Kafka, qui a été utilisée par Camus principalement pour la construction d'une philosophie de l'absurde, a également été abandonnée. L'objectif du présent article est de retrouver la lecture existentialiste de Kafka par Camus, mais en allant un peu plus loin que celle du prix Nobel franco-algérien : il ne s'agit pas seulement de montrer que l'oeuvre de Kafka présente les traits de l'absurde, mais qu'à travers la vie même de l'écrivain austro-hongrois, on entrevoit aussi les traits de l'homme absurde, traits sans lesquels son oeuvre n'aurait pas été possible.
[...] Nous parlons d'une société absurde qui n'est pas convaincue de son erreur par les milliers de morts et les gaz toxiques. Aujourd'hui, il ne faut pas beaucoup de raisons pour convaincre quelqu'un d'autre de l'absurdité de la guerre, et je pense qu'il est bon de rappeler que la philosophie de l'absurde naît dans le prochain massacre mondial, lorsque les troupes d'Hitler ont pris la France comme butin de guerre. Kafka avait été déclaré " inapte " à la conscription dans les troupes hongroises en raison de ses problèmes de santé. [...]
[...] Or, assumer le suicide philosophique n'est pas éviter les parties de la confrontation qui génèrent l'absurdité. Il ne s'agit plus de savoir si la vie a un sens ou pas, mais d'assumer la réalité que la vie n'a pas de sens, que notre réalité se résume à l'absurde, mais comme cette réalité n'est pas supportable pour nous, nous devons être en "révolution constante" face à elle. Nous ne pouvons pas résoudre le problème de l'absurde, mais nous devons constamment nous élever en "rébellion" contre lui. [...]
[...] Camus estime que la clé de l'écriture de Kafka réside dans la présentation de l'extraordinaire de manière naturelle, notamment de la part de celui qui subit l'événement anormal. Le protagoniste juge naturel ce qui lui arrive, mais pas le lecteur, ce qui génère chez ce dernier un effet d'étrangeté. Mais ce n'est pas seulement l'envoûtement littéraire des œuvres de Kafka, Camus soupçonne que dans cette condition les signes de l'œuvre absurde sont perceptibles. Kafka fait entrer en collision le monde de la vie quotidienne avec une profonde aspiration métaphysique, et c'est de cette collision que naît le sentiment de l'absurde. [...]
[...] Kafka et la question de l'absurdité de l'existence D'après ce qui précède, l'absurdité de l'existence a toujours eu trois manières de s'en approcher : le suicide (ou en général, la mort, quelle que soit la manière dont elle est produite), la religion et la posture de lutte constante, que Camus identifiait à l'alternative de l'homme absurde, et que j'appellerai la voie poliorcétique, dans la mesure où nous parlons d'une lutte perpétuelle avec cette réalité insupportable. Je considère que Kafka a rendu compte de toutes ces voies à différents moments de son œuvre. [...]
[...] C'est un employé de bureau qui veut devenir écrivain. Il pense que l'inspiration littéraire ressemble beaucoup aux transes visionnaires dont Steiner a parlé dans sa conférence, ce qui le met mal à l'aise face à la théosophie, mais il ne sait pas si elle peut apporter de la lumière ou de la confusion dans le fouillis qu'était déjà sa propre vie. La littérature et son métier de fonctionnaire des assurances sont tout simplement incompatibles, de sorte que l'une des professions annule inévitablement l'autre, chacune est le malheur de son contraire, et Kafka ne peut pas choisir l'une et laisser l'autre. [...]
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