Gabriel Matzneff, classicisme, écriture, littérature contemporaine, littérature française, liberté, solitude, intimité, réflexion critique
Écrire un livre sur Gabriel Matzneff, à l'heure où son nom évoque moins la littérature que l'opprobre, c'est marcher sur une ligne de crête, fragile et coupante. Mais c'est justement dans cette zone d'instabilité que la réflexion critique peut prendre tout son sens. Il ne s'agit ici ni de réhabilitation, ni d'effacement. Il s'agit de lire — vraiment. Lire avec vigilance, lire avec mémoire, lire avec la conscience aigüe que l'oeuvre et la vie ne sont pas des entités séparées, mais que la littérature, quand elle est sincère, quand elle est obsessionnelle, finit toujours par tout mêler.
Gabriel Matzneff a écrit pendant plus d'un demi-siècle, inlassablement, et dans une langue rare. Il a composé romans, essais, journaux intimes, confessions, textes d'un autre âge traversés par la sensualité, l'érudition, l'ironie noire, l'exaltation de la beauté, le refus du temps moderne. Son style évoque à la fois le classicisme français du Grand Siècle, les poètes décadents, les moralistes latins, et les fulgurances d'un Cioran. Il écrit comme on se brûle, mais sans cesser de ciseler la phrase.
Il est donc possible — et nécessaire — d'interroger la singularité littéraire de son oeuvre.
[...] Tout ce que j'aime est mort », dira-t-il plus tard dans Les carnets noirs. Il n'a pas trente ans que déjà il se pose en dernier stoïcien, en esthète désabusé, en héritier déchu d'un monde à jamais perdu. En 1965, il publie Le Défi, un petit essai aussi brillant que provocateur. Il y revendique son goût pour l'amoralité, pour l'insoumission, pour ce qu'il appelle le « droit à la solitude intérieure ». L'accueil est mitigé. Certains y voient un précieux maniériste, d'autres un styliste prometteur. Peu importe : Matzneff veut écrire, mais surtout écrire lui-même. [...]
[...] Dans Le Carnet noir, il écrit : « L'amour n'est pas une affaire de société. C'est une affaire personnelle, intime, un mystère que l'on ne doit confier à personne. » Le regard de Matzneff sur l'amour est aussi imprégné de son propre rapport à la jeunesse. Il parle d'une jeunesse fragile, éphémère, mais d'autant plus précieuse et désirable. L'amour pour les jeunes, chez lui, devient un symbole de l'intensité de la vie, de sa beauté brute, et de sa capacité à toucher l'essence même de l'être humain. [...]
[...] Il ne dissociera jamais l'?uvre de la vie. Ce sera son projet - et son piège. Il entre véritablement dans la lumière en 1971 avec Isaïe réjouis-toi, un premier roman salué par la critique. Ce roman, qui mêle le sacré, l'érotisme et la nostalgie, pose déjà les jalons de tout ce que Matzneff développera ensuite. La langue est précise, ciselée, souvent très belle, ponctuée de formules latines, de références philosophiques, d'images élégantes. Son classicisme est manifeste : il cite volontiers la Bible, Pascal, Lucrèce ou Montaigne, mais sans jamais les figer. [...]
[...] C'est un amour qui va au-delà des frontières traditionnelles, qu'il s'agisse de l'âge, de la morale ou des normes sociales. Ainsi, dans Les Moins de seize ans, Matzneff évoque avec une précision presque clinique ses attirances pour la jeunesse, qu'il voit non pas comme un simple caprice, mais comme une quête essentielle et une exploration de l'âme humaine. « Le désir que l'on ressent pour un être jeune n'a rien à voir avec une simple attirance physique. Il s'agit d'une rencontre avec la pureté, une communion avec la vie dans son état le plus brut, le plus sincère », écrit-il dans Le Carnet noir, donnant une profondeur inattendue à ce qui, à première vue, pourrait sembler une provocation gratuite. [...]
[...] En définitive, la quête de l'absolu chez Gabriel Matzneff est l'un des moteurs les plus profonds de son écriture. Elle est liée à une vision du monde où l'intensité prime, où la recherche de la vérité se fait sans compromis, sans peur de se confronter à ce qui est inatteignable. L'écrivain n'est pas un guide, ni un maître à penser. Il est un chercheur, un voyageur dans un monde qui n'offre aucune certitude. Mais ce voyage, à la fois sublime et tragique, est ce qui confère à son ?uvre sa force, son authenticité et son caractère inoubliable. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture